Page:Achard - Envers et contre tous, Lévy frères, 1874.djvu/223

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par le temps goutte à goutte, le silence qui donne accès à toutes les chimères, la nostalgie, l’emprisonnement dans un château où tout parle de ceux qu’on déteste, des jours monotones pleins de menaces, des plaisirs offerts par des mains exécrées et auxquels il fallait se résigner au milieu de visages ennemis, l’imagination en proie à tous les songes et comme affolée de doucereuses exhortations chaque matin renouvelées et qui produisaient sur l’esprit irrité des prisonnières la sensation cruelle, intolérable, d’une goutte d’eau tombant sans relâche sur le front endolori d’un malade : cela valait les barbaries corporelles que Mathéus avait infligées à M. de la Guerche et à Renaud.

La femme délicate et nerveuse se montrait l’égale de l’homme farouche et brutal. Il s’adressait à la chair, elle flagellait le cœur.

— Si maintenant Mlle de Pardaillan et Mlle de Souvigny meurent à la peine, disait Mme d’Igomer, ce ne sera pas de ma faute… Je ne les ai pas touchées et n’ai pas permis qu’on les touchât.

Le jour même où l’escadron de M. de la Guerche bivaquait sous les canons du château, Mme d’Igomer entra dans l’appartement des deux cousines.

— Bonne nouvelle, leur dit-elle gaiement, Jean de Werth nous rendra visite bientôt… Il ne peut plus vivre sans vous voir, ma chère Adrienne… Quand il saura que le Bavarois est ici, je suis sûre que le comte de Pappenheim désertera pour tomber aux pieds de sa Diane bien-aimée… Apprêtez-vous l’une et l’autre à vous faire belles pour les recevoir.

Adrienne et Diane prirent aussitôt la résolution de ne plus porter que des vêtements simples ; mais au réveil, tous leurs ajustements de toile et de laine avaient disparu, et elles n’eurent plus qu’à choisir entre la soie, la dentelle et le velours répandus à profusion sur les meubles.