Page:Achard - Envers et contre tous, Lévy frères, 1874.djvu/248

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

toi que je secourais ! Eh bien ! ce que M. de Chaufontaine n’a pas fait, je vais le faire, moi !

Et roidissant ses mains rouges de sang, la poitrine contre les pieds de Mathéus, il le poussa vers l’abîme.

Mathéus voulut se débattre et le repousser, mais les liens les plus durs garrottaient ses membres, la peur glaçait le sang dans ses veines, tout rendait inutiles ses efforts les plus violents. Il sentit que son corps glissait sur l’herbe.

— Grâce ! murmura-t-il.

— Que je te fasse grâce, moi ? Tu ris, Mathéus ! Non, non ! tu vas mourir, et mourir pendu !

Un nouvel effort poussa le misérable vers le bord du gouffre. Ses mains se cramponnaient aux touffes d’herbes qu’elles arrachaient ; un pan de gazon le séparait du vide. Tout à coup, Rudiger s’arrêta ; ses coudes épuisés le soutenaient à peine ; il tomba, la face contre terre.

— Ah ! tu ne pourras pas, bandit ! s’écria Mathéus.

Rudiger se traîna sur les genoux lentement, et posa de nouveau ses mains sur le corps du gouverneur.

— Écoute ! meurs tranquille, lâche-moi, et je ferai dire mille messes pour le repos de ton âme ! reprit Mathéus, dont les dents claquaient.

Mais les mains défaillantes du moribond s’acharnaient à pousser le misérable, qui roulait sur la pente. Une traînée de sang marquait les places qu’ils avaient parcourues côte à côte.

La tête de Mathéus rencontra le bord du précipice et resta suspendue dans le vide. Rudiger, qui râlait, rampait sur le ventre.

— Tu auras mille ducats d’or ! tu en auras dix mille ! tu auras tout ce que j’ai !… Grâce, bourreau !

La voix expira dans la gorge de Mathéus. Rudiger, qui sentait le froid de la mort dans ses os, le poussa des épaules et des bras, cherchant pour ses muscles tendus par un effort