Page:Achard - Envers et contre tous, Lévy frères, 1874.djvu/289

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bergères. Les caves et les coins noirs rendaient leurs prisonniers.

— C’est le prodige de la multiplication des pains et des poissons…, murmura Carquefou. Béni soit le Seigneur !

Ce prodige venait de ce que Magnus avait exécuté les ordres de son maître. Les provisions étant consommées, il avait fait voir que le fond de sa bourse n’était pas vide, et offert de tout payer en belles pièces d’or sonnantes et trébuchantes. La pauvreté du village s’était subitement changée en abondance.

Carquefou, complètement rassuré, passait la revue des bestiaux et mettait de côté les plus gras.

À midi, et tandis qu’il se faisait un garde-manger particulier avec les reliefs du festin, on n’avait pas encore entendu la détonation d’un coup de fusil.

Magnus tenta de nouveau la traversée du marais, et s’y reprit à diverses fois, tantôt à pied, tantôt à cheval. Il n’en put venir à bout, malgré la persévérance de ses efforts. Quand il reparut, épuisé de fatigue, son visage commençait à s’assombrir.

Le soir vint, et pas une balle n’était tombée sur le village.

Les dragons soupèrent ; les plus jeunes ne perdirent pas un coup de dent ; les plus vieux semblaient soucieux. L’incertitude était plus lourde à leur cœur que la perspective du combat.

M. de la Guerche songeait que, si abondantes que fussent les ressources du village, elles ne pouvaient manquer de tarir un jour, et il ne fallait pas penser à se ravitailler par une sortie.

Les dragons se couchèrent silencieusement dans leurs manteaux ; chacun d’eux adressait à la France des adieux muets. Au loin, perdus dans les ténèbres naissantes, on voyait