Page:Achim von Arnim - Contes bizarres, Lévy frères, 1856.djvu/241

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ser son système ; enfin, elle prit la parole, et s’écria avec une vivacité inaccoutumée :

— Le règne de la Raison ? Comment la raison pourrait-elle en un instant s’établir dans le monde ; lorsque, même dans les siècles les plus vertueux, les mieux remplis, elle ne s’est montrée qu’à de rares intervalles, et au dernier moment, en étrangère, en fugitive, et alors elle a établi les différents degrés de la société ; réfléchissez combien les distinctions entre les hommes sont nécessaires ; et, du reste, que peut faire la raison ? quels résultats peut-elle amener, lorsque les hommes qui la recherchent n’aboutissent à rien, et ne font que spéculer et se contredire ? Je vous le dis, les amis de la raison laisseront abuser de leur système pour mettre non-seulement en paroles, mais encore en actions, les choses les plus opposées à la raison, et, au nom de cette dernière, on se permettra tout ce qu’elle défend.

Frenel la regarda avec étonnement, et la pria de ne pas parler si haut, parce que les passants pourraient l’entendre ; mais elle continua sans baisser la voix :

— Voyez ces matelots, ils quittent leur ouvrage pour venir écouter, les mains pleines encore de goudron, les chants et les discours patriotiques, tandis que le navire les attend pour partir ; bientôt toute la