Page:Achim von Arnim - Contes bizarres, Lévy frères, 1856.djvu/242

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

vie se passera dans ces vains bavardages. Lorsque l’un dit : j’ai faim, tous s’écrient comme lui : nous avons faim, sans regarder la terre et la mer qui leur offrent le moyen d’apaiser cette faim. Voyez ces vaisseaux aux pavillons de mille couleurs qui reviennent d’un heureux voyage, ils iront pourrir emprisonnés dans l’eau douce pour laquelle ils n’ont pas été construits. Sur les grandes routes, au lieu des employés du roi qui les surveillaient, ce ne seront plus que des nuées de brigands qui rançonneront les voyageurs ; mais je ne cite là que les moindres maux.

— Puisque vous en savez tant, dites donc tout, s’écria Frenel surpris.

— Le sang des hommes qui auront voulu amener le règne de la Raison, coulera par l’ordre de cette raison même ; le sang du roi, ingrat envers la noblesse qui a élevé son trône ; le sang de la noblesse, qui ne saura pas s’unir avec le clergé ; le sang de notre comte, l’homme que j’ai le plus aimé !

— Et vous ? dit Frenel.

— Moi aussi je mourrai après avoir préparé le comte à mourir.

— Et moi, reprit Frenel, ne pourrai-je vous sauver tous les deux ?

— Non, répondit Melück en détournant les yeux,