Page:Achim von Arnim - Contes bizarres, Lévy frères, 1856.djvu/293

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À cela Esther répondit, au grand étonnement de l’héritier du Majorat interpellé, en imitant sa voix à s’y tromper :

— Je vais m’expliquer : vous n’êtes pas la fille de celui que le monde appelle votre père, vous êtes un enfant chrétien volé, volé à vos vrais parents, à votre vraie religion, et le projet que j’ai fait de vous remettre en possession de ce que vous avez perdu, m’a décidé à vous rendre cette visite. Et maintenant, expliquez-vous à votre tour sur mon sujet.

Esther. — Soit. Je suis vous et vous êtes moi ; que les choses se remettent dans leur ordre naturel ; je ne crois pas que cela arrive, mais vous y perdriez énormément, et votre affreux cousin au nez rouge y gagnerait seul une élévation vertigineuse.

Elle se tut, puis se supplia elle-même avec la voix de l’héritier du Majorat de continuer à parler, car sa ressemblance avec sa mère bien-aimée lui découvrait déjà le mystère à moitié. Et elle continua ainsi :

— Est-ce donc quelque chose de bien mystérieux pour vous que le caprice d’un vieux seigneur de Majorat qui, n’aimant pas son cousin, voudrait laisser toute sa fortune à un fils de lui ? Supposez que ce désir soit près de se réaliser, que sa femme souffre les premières douleurs de l’enfantement, mais que la crainte prenne