Page:Achim von Arnim - Contes bizarres, Lévy frères, 1856.djvu/295

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donné la moitié ; je serai bientôt au bout de ma carrière. Il y a dans ce moment un changement de saison que je ne pourrai supporter. Mais vous m’aimez, dites-vous ? Du premier regard je l’ai vu dans vos yeux ; mais notre amour n’est pas de ce monde ; ce monde m’a brisée avec toutes ses sottises. Ami, tous les hommes ne m’estiment pas comme vous, ils m’entourent de la stupidité de leur puéril bon sens. Quittons-nous pour aujourd’hui ; car, il me coûte beaucoup de vous le dire, je ne puis plus vous donner mon cœur tout entier ; il a été déchiré, emporté par morceaux, et là-haut seulement la plaie pourra se guérir.

À ces mots, un flot de larmes inonda les yeux de l’héritier du Majorat. Lorsque sa vue se fut éclaircie, Esther, sa lampe éteinte, était accoudée, vêtue seulement d’une légère chemise, sur le bord de sa fenêtre, et respirait l’air frais de la nuit ; puis elle se coucha, et l’héritier du Majorat prit son journal pour y transcrire aussi fidèlement que possible les événements extraordinaires qui venaient de se passer.

Sur les midi, le cousin arriva devant le lit de son hôte, selon son habitude, et lui demanda s’il n’avait pas envie de voir la noble dame. L’héritier du Majorat lui répondit par un oui très-marqué, en ajoutant qu’il désirait beaucoup lui faire sa visite seul. Il s’ha-