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CHAPITRE XII


— Qu’est-ce que c’est que ce gros caramel gluant ?

— C’est du savon vert…

— Qu’à Paris on appelle du savon noir…

— Sans doute parce qu’il est jaune…

Des deux pavillons en briques qui sont dans la cour et que ces demoiselles Davernis appellent « leurs dépendances », des ballons de vapeur sortent. Une odeur se répand, faite de cent odeurs, de linge battu, de savon trempé, de sueur… Quatre femmes, le cou et les bras gonflés par la chaleur et l’effort, gesticulent dans cette atmosphère de buanderie en travail. Elles ont, pour jeter en monceau les toiles mouillées, le même geste que les pêcheurs lorsqu’ils jettent, avec un bruit de ventouse, les limandes, les soles et les grosses raies sur le carreau des halles.

Arlette interroge Telcide, grande surveillante de cette lessive bi-annuelle :

— Faites ici, mon enfant, votre éducation ménagère… vous voyez, nous profitons des beaux jours de l’été. Le linge doit sécher assez rapidement pour ne pas s’abîmer et assez lentement pour ne pas durcir. Il faut savoir apprécier le juste milieu… À Paris, on n’a pas de linge. On a des chemises en toile d’araignée ; des draps qui sont des mouchoirs de poche ; des mouchoirs de poche qui sont des dessous de carafe… On a douze serviettes, trois nappes… Tandis qu’en province… Ah ! en province, c’est autre chose… Nous pourrions rester vingt-quatre mois sans faire aucune lessive. Nous n’avons que des pures toiles inusables. À chaque génération, avec chaque héritage, notre lingerie s’augmente…