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CES DAMES AUX CHAPEAUX VERTS

sœurs » qui habille les dames élégantes de la ville. Elle m’a menée chez une couturière en chambre, Mlle Bernet.

Celle-ci nous a reçues, avec des épingles plein la bouche, dans une sorte de salon où traînait une odeur de soupe aux choux. Elle a bégayé en me dévisageant :

— Ah ! ah ! voilà cette jeune fille sortie de pension… Qu’est-ce que nous allons lui faire ?

Pour bien montrer mes préférences qui étaient nettes, j’ai commencé d’expliquer :

— Mademoiselle, la teinte que je désire est le bleu. Il n’y a rien de plus pratique et de plus convenable pour l’hiver. Comme forme, je vous demande de me trouver un modèle très simple avec le cou dégagé, la taille assez marquée et la jupe serrée pour que la ligne soit parfaite…

Je n’avais pas remarqué que maman me regardait avec stupeur. Elle arrachait nerveusement la soie du gland de son parapluie.

— Tel n’est pas mon avis, a-t-elle déclaré. Dans ma famille les jeunes filles ne portent pas le cou dégagé, la taille marquée et la jupe serrée…

— Pourtant, maman, la ligne…

— Je ne comprends pas ce que signifie cette expression… Mademoiselle Bernet, prenez les mesures de cette enfant, vous lui confectionnerez, en cheviote noire, une robe sérieuse. Je la veux en tous points semblable à celle que vous avez réussie parfaitement pour moi l’année dernière…

— Mais, maman, je vais être « fagotée ».

— Vous trouvez donc que je le suis ?…

Mlle Bernet, qui continuait de mâchonner ses épingles, a pris mes mesures en disant :

— Je vais vous la faire bien large pour que vous puissiez la mettre deux ans !


1er octobre.

J’ai essayé ma robe.

La décrirai-je ?

Elle est indescriptible.


3 octobre.

Je sais que je ne suis pas jolie, mais je crois avoir, dans la physionomie, surtout dans les yeux, une expression très personnelle.

Si j’étais homme, il me semble que je m’aimerais…

J’ai fait le compte des jeunes filles de la ville. Je ne vois guère que Léontine Bouvard et Henriette Vincent qui soient mieux que moi.

Et encore ?