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Page:Adam - L'Île au lingots - Collection d'aventures 355 - 191x.djvu/6

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Une semaine s’écoula. Mme Schlembung, préoccupée qu’elle était de l’invention du savant Dagrier, ne s’aperçut point tout d’abord que l’humeur de sa pupille Adrienne s’était assombrie depuis le jour où elles étaient allées ensemble à la villa du vieux physicien. Elle finit cependant par le remarquer et en demanda la cause à la jeune fille. Adrienne, qui était la franchise même, répondit :

— Pendant que vous étiez dans les magasins, ma tante, j’ai reçu une carte postale… Jean Dagrier me présentait ses hommages et s’étonnait que nous n’eussions pas répondu aux lettres assez nombreuses qu’il nous a déjà adressées.

L’Allemande se mordit la lèvre. Elle savait bien, elle, que Jean avait écrit à diverses reprises. Mais chaque fois elle avait détruit la missive sans la montrer à la jeune fille. La sympathie qui attirait l’un vers l’autre Adrienne et Jean déplaisait à la fausse Suédoise pour une raison qui montrera dans toute la bassesse l’âme de la triste créature.

Elle avait autrefois capté la confiance et l’amitié du père d’Adrienne, un Français qui gagnait beaucoup d’argent dans le trafic des bois du Canada. Son commence l’obligeait à de fréquents voyages, et la nouvelle de sa mort au cours d’une traversée était parvenue un jour à Paris. Le défunt instituait Mme Schlembung la tutrice d’Adrienne et laissait à cette dernière une grosse fortune qu’un notaire lui verserait quand elle atteindrait sa majorité. En attendant, il donnerait chaque année à la pseudo-Suédoise de quoi élever la jeune fille.

Hermann Wachter, qui connaissait la situation, avait dit à la tutrice :

— J’épouserai Adrienne, avec votre permission, et vous aurez la moitié de la dot.

— Promis, avait répondu Mme Schlembung. On devine, d’après cela, la grimace intérieure que faisait l’Allemande quand on lui parlait de Jean Dagrier.

— Lui as-tu répondu ? demanda-t-elle.

— Je ne le ferais point sans votre permission, ma tante.

Mme Schlembung respira.

— À la bonne heure ! sourit-elle. Ne lui réponds rien, m’entends-tu ? Rien. Je le trouve bien osé de nous accabler de ses politesses. Vois Hermann Wachter, est-ce qu’il nous écrit, lui ? Voilà un jeune homme distingué !… Et puisque l’occasion s’offre de parler de lui, il faut que je te dise que je serais heureuse de te voir porter son nom. C’est un Alsacien de vieille souche, un patriote, et il a toutes les qualités…

— Je vous crois, ma tante, mais je ne souhaite point le mariage que vous rêvez.

Mme Schlembung eut un frémissement des mains.

— Tes souhaits comptent peu, dit-elle. J’ai mission de t’élever et de faire ton bonheur ; tu me dois l’obéissance, n’oublie pas cela.

Adrienne regarda l’Allemande avec stupeur. Jamais cette dernière n’avait eu cette dureté d’attitude, d’accent et de propos. À ce moment, la servante qui cumulait l’emploi de cuisinière et de femme de chambre parut.

— Une lettre pour Madame ! dit-elle.

— Elle n’est pas de Jean Dagrier, rassure-toi, ironisa l’Allemand.

D’un coup d’œil, Mme Schlembung venait de reconnaître un timbre-poste suédois. La missive venait de Goteborg. Ayant gagné une chambre voisine, la femme sournoise et cupide décachetait l’enveloppe. La lettre émanait d’un certain van Robsen et ne contenait que des banalités.

« Ce n’est pas cela qui m’intéresse, » murmura la boche. Elle allumait une lampe et promenait la feuille de papier au-dessus du verre. Alors, entre les lignes tracées à l’encre noire, d’autres lignes apparurent, qui avaient été écrites au jus de citron. L’Allemande lut :

« Le savant français Dagrier doit bientôt s’embarquer pour l’océan Pacifique et emporter son nouvel appareil à découvrir l’or. Avisez Hermann Wachter pour qu’il s’empare de l’appareil en question et le transporte à Ostende. La croix de fer s’il réussit : La dénonciation, s’il échoue. »

Cora Schlembung resta un instant médu-