avec des fenêtres béantes, des couloirs ouverts, des immondices et des pourritures en tas.
« Des légions de rats couraient les ruisseaux. Ils mordaient cruellement les pauvresses en quête d’une croûte, d’un os à demi rongé, d’un morceau à brûler.
« Quant à nous, depuis longtemps, nous ne sortions plus de la maison. Nous vivions sur le grand poêle en saillie dans le salon, couchées dessus à la mode russe. Un maigre feu de bois s’y consumait, car l’hiver brusquement arriva. Les neiges tombèrent, tombèrent sans fin. Pour avoir plus chaud, nous restions embrassées, la Polonaise et moi, dans les couvertures… Nous nous sommes bien aimées, en pleurant là, perdues, sans rien savoir. Mon mari, son frère, n’agonisaient-ils pas à l’heure même dans le fossé d’un champ ? Nos lèvres buvaient nos larmes… Nous sanglotions ensemble… Aussi, quand nous sûmes que l’armée de Moscow revenait, qu’elle allait atteindre Smolensk, nous ne cessâmes plus de guetter aux fenêtres les avant-coureurs… Et ce que nous vîmes, à la place de troupes glorieuses d’avoir atteint les extrémités de l’Europe, victoire à victoire, ce fut cette multitude affreuse, qui se ruait aux barricades et aux remparts, en implorant, qui s’affaissa, morne, autour de ses chariots et de ses tristes feux, qui s’engourdit là, très vite, immobile dans ses haillons souillant l’étendue de la neige…
« Je me souviens. Nous regardions une sentinelle que la patrouille quittait, après l’échange du mot d’ordre. Le pauvre garçon ! Si petit dans sa capote bleue ! Il gardait une barricade fermant un passage, entre deux murs. Il grelotta tout de suite, et tâcha de marcher. Il s’éclaboussa de neige en tapant ses semelles contre la terre. Un instant, il leva le visage vers notre fenêtre, un visage d’enfant hâve et famélique, un visage recouvert d’un énorme shako vert, d’un pompon rouge, d’une visière bordée de cuivre, et serré dans une jugu-