Page:Adam - L’Enfant d’Austerlitz (1901).djvu/110

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sanglante, des yeux opaques, contemplant le ciel. Là-bas, devant une calèche, le chevau-léger endossait la capote, la femme, assise, enfilait les chaussures fendues ; l’homme vêtu de peaux de mouton s’arrangeait en turban la culotte du mort ; le cuirassier comptait les pièces de son aubaine… puis dansa comme les clodoches du bal d’Idalie… " enfin, les clairons annoncèrent au loin l’arrivée de la garde. D’un bond cette foule se dressa, escalada ses charrettes, ses traîneaux et ses calèches, afin de recevoir l’élite. Tous se réveillaient, s’appelaient, abandonnaient les feux mêmes. " le premier peloton déboucha au milieu d’insultes. On lui montrait le poing… on l’accusait de ne plus jamais paraître à la bataille, sinon quand la besogne était faite, pour recueillir les lauriers conquis par la valeur et le sang des autres troupes. Pourquoi mangeraient-ils avant les autres, ces histrions de l’armée ?… " les vieux soldats ne daignèrent répondre. Ils marchaient en rangs et au pas dans leur tenue de route, le pantalon de corvée rabattu sur la guêtre, le bonnet à poil dans son enveloppe de serge et la capote lâche. Leurs officiers commandèrent le silence. Aussitôt, les injures cessèrent ; un murmure continua quelque peu, puis la foule se tut. Elle admirait ces hommes que ni la défaite, ni le froid, ni la faim, ni l’or gonflant leurs havresacs n’avaient détournés de leur devoir militaire. Leurs capitaines et leurs lieutenants criaient, ainsi qu’à la parade, des ordres exécutés aussitôt avec précision. Ils portaient leurs chapeaux dans des étuis de toile cirée verte, et leurs plumets dans des feuilles de parchemin liées au fourreau du sabre, comme s’ils devaient, à l’instant, sortir ces insignes de leurs gaines et paraître à une revue du carrousel. Presque tous avaient enveloppé le cuivre de leurs boutons ; leurs épaulettes pendaient au ceinturon dans un mouchoir soigneusement