Page:Adam - L’Enfant d’Austerlitz (1901).djvu/121

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

À la grille, les mendiants chargés de lourdes besaces se lamentaient. Ceux-là seuls lui parurent des pauvres. Il leur devait, heureusement, le respect du malheur inscrit dans la saleté de leurs figures et la crasse des haillons. Cependant, il les croyait capables de tout un mystère qu’ils dérobaient sous leur apparence humble. Il ne l’eût point surpris que, de leurs surtouts, un roi couronné, une fée adamantine fussent brusquement sortis, majestueux. Donnant un liard et une tranche de pain bis, il souhaitait ce spectacle d’apparition. Maman Virginie confirmait l’espoir ; elle conseillait la bienveillance et la vénération envers les misérables pour le cas où s’opérerait le miracle. Il approuvait cette prudence excellente, et ne s’en fût pas départi.

Alors une hiérarchie lui devint évidente.

Ceux tachés de plâtre, noirs de suie et de limaille, ceux portant des échelles et des fardeaux, les paysans aux hardes terreuses et au geste tardif, ceux qui traînent des brouettes et se courbent sous des hottes, ceux qui accompagnent des chevaux énormes, lents, barbus aux pieds, lui parurent la multitude des méprisables, toujours résignés à l’insulte, et incapables de paroles faciles. Les marchands et les domestiques, c’étaient des mains qui offraient les victuailles et les friandises, des bras qui portaient, des gestes qui s’empressaient de satisfaire ; c’étaient de benoîtes personnes soucieuses de ne pas encourir les reproches, un peu parentes et qu’on protégeait. Les soldats lui représentaient le peuple, qui dans l’histoire agit, qui proclame les rois, qui se révolte, qui court, qui vit. Il croyait que les hommes de la Révolution portaient tous l’uniforme militaire. Leur risque d’être tués les maintenait à l’étiage inférieur, tandis que la splendeur du costume les élevait sans conteste, au-dessus des castes précédentes. Seuls, les mendiants, pour le mystère de leurs allures et les fées qu’ils recèlent parfois en eux, inspi-