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Page:Adam - L’Enfant d’Austerlitz (1901).djvu/154

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bonnet en poil de mouton, avec un fond cramoisi, et de longues blouses presque pareilles en drap parsemé de boue. L’enfant s’étonna de reconnaître, au flanc de quelques-uns, les carquois et les flèches des images représentant les archers antiques. Leur colonne se divisa pour enfiler les avenues qui menaient aux étangs. Mais une quinzaine s’alignèrent devant le perron, descendirent de leurs chevaux que chargeait du foin ; plusieurs furent heurter à la fenêtre basse de la cuisine. À pied, ils se dandinèrent. Leurs pantalons de cuir brut formaient de gros plis sur les éperons et les bottes. Ils haussaient vers les carreaux des mufles barbus de chiens timides. Un domestique les mena dans la buanderie. Ils lièrent leurs montures aux barreaux des croisées, et puis débarrassèrent leurs selles des ballots informes qu’y fixaient cent cordes.

― Céline ! ― appela quelqu’un, de l’office ; ― Mme Cavrois dit que vous ouvriez la porte du fournil pour qu’ils puissent y faire cuire leur soupe… Avez-vous la clef ? Bâillez-la… Dieu ! qu’ils sont drôles avec leurs barbes pouilleuses !… vite !…

Omer accompagna la nourrice. Sa frayeur diminuait. Ces grotesques aux cheveux gras, aux faces plates trouées par de larges narines lui donnaient la joie d’une moquerie. Ils ne semblaient guère des soldats cruels, mais de piteux jocrisses dignes de recevoir le coup de pied de Bobèche sur les tréteaux du boulevard. D’ailleurs, lingère, laveuse et cuisinière riaient dans l’office. Cela le rassura. Il résolut d’obéir à sa curiosité.

― Les parfums du sérail ! As-tu senti qu’ils en viennent ?

― Ils m’ont volé ma frangipane, que j’dis !

― Prête-leur ta chemise, Agnès : faut qu’ils se changent.

Et la joie courbait les échines des femmes, qui se claquaient les genoux.