Page:Adam - L’Enfant d’Austerlitz (1901).djvu/189

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la Sainte Alliance. Monsieur l’abbé de Pradt a chaudement embrassé mon frère au retour, et l’a prié à déjeuner avec l’état-major du duc de Raguse, dont il sera d’ores en avant, ce qui lui vaudra bien du lustre. Sa chère Malvina triomphe du nouveau titre, bien qu’elle ne cache pas assez son faible pour le Buonaparte, ce qui pourrait nuire à la longue. Enfin, je t’explique par le menu la situation, dans l’idée que tu ne t’opposeras pas, sans raisons meilleures, aux visées du comte. Il serait capable de détruire sans rémission notre grand espoir d’unir nos deux enfants, de les voir s’aimer sous nos yeux quelque jour, comme nous avons adoré notre Bernard, toi avec un cœur d’épouse et moi avec une âme de sœur. Quelle loyauté, quelle grandeur de caractère avait notre héros ! Dans ce chaos d’intrigues et de commerces où notre société vit, depuis cinq ans, faubourg Saint-Honoré, son image m’est plus chère. Je pleure des larmes de sang devant son portrait. Je nous vois encore dans le château de Moravie où nous le retrouvâmes, le lendemain de la bataille d’Austerlitz, quand notre chaise de poste l’eut joint au milieu de ses dragons. Qu’il était beau, tout rayonnant de sa victoire ! Ses balafres lui composaient une manière de bandeau royal. Tu te souviens ? Alors, j’assistai à vos nobles effusions. Alors, je pus embrasser votre brûlant amour. Alors, je pus respirer vos souffles de volupté légitime. Je fus presque aimée autant que toi ma Virginie ! Tu le souffrais. Ton âme généreuse comprenait mon émoi. Au retour, tu portais dans ton sein le fruit d’une si touchante ardeur. Moi je ne rapportais qu’un souvenir ineffaçable et dont je brûle encore par les mille feux d’un regret atroce.

« Oh ! Cruelle Bellone, pourquoi ta fureur s’est-elle attaquée au plus chéri des frères ? pourquoi la vie du héros devait-elle être brisée dans sa fleur, par le hasard du canon, sous les murs de Presbourg ? Il ne me reste