Page:Adam - L’Enfant d’Austerlitz (1901).djvu/199

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Et bien que le sang coulât de ses narines, l’écolier dut rire de leurs masques en sueur, vraiment drôles.

Dieudonné Cavrois était leur victime ordinaire. Ils le criblaient de brocards, giflaient à la moindre occasion ses reins énormes, ou pinçaient les lourdes, les grandes joues de Caroline, déjà léguées à la face de son fils.

Les larmes aux cils, Dieudonné parfois allait gémir contre un arbre, la tête dans le bras. Mais on découvrait bientôt la consolation de ce chagrin : d’une main prudente, le boudeur sondait sa poche, et en retirait secrètement quelque friandise qu’il portait à sa bouche.

― Donne-m’en ! commandait Édouard, volontaire et âpre. Donne-m’en !

Le gros enfant tournait sa figure enflée, de coin, par la mastication ; il refusait de la tête, les poings en avant. Tous deux se battaient en silence, jusqu’à ce que Dieudonné succombât et fût dépouillé par Édouard, toujours victorieux. La nature de celui-ci était ardente et colérique. Quand le Père supérieur proclamait les notes et les places, Édouard, s’il se jugeait mal loti, trépignait, en proie à la rage. Les autres classes entendaient ses hurlements. Il fallait que deux jésuites le prissent aux bras et aux jambes, l’emmenassent au dehors, sous la pompe, afin de lui rafraîchir le visage. Tout lui devait appartenir : les meilleures récompenses, les sucreries des camarades, les plus beaux habits. Chaque mois environ, il recevait de sa mère un costume neuf, et l’endossait. Vaniteux, il démontrait alors les règles de l’élégance aux petits campagnards ébaubis.

― Voilà tout mon père ! Disait Émile de Praxi-Blassans.

Aux jeux, Édouard était le cocher de la diligence imaginaire, le Napoléon des troupes, et, vigoureux, rossait les aînés mêmes, quelquefois les Pères.

Eux lui pardonnaient en faveur de sa dévotion fort ardente. Il gardait, dans une boîte en velours bleu, qui