Page:Adam - L’Enfant d’Austerlitz (1901).djvu/275

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— Plus loin, une fille cessa de tordre le linge sur la cuvelle et jeta clairement ces notes :


Grave en ton cœur ce jour pour le maudire…
Et quand Bellone enfin aura paru
Qu’un chef jamais n’ait besoin de te dire :
« Dis-moi, soldat, dis-moi, t’en souviens-tu ? »


L’écho du son s’en alla dans les bruits de la rue, s’enfuit par les venelles. Le battoir des laveuses répéta les derniers rythmes sur le linge qu’il frappait au fond d’une cour. Alors un pas étranger ayant annoncé son approche, tous les tumultes du travail renaquirent. La chanson expirait. ― oh ! C’est bon, de ce côté ! Fit M. Boredain, en arrêtant tout à fait son cheval blanc. Il vendait aux marchands tailleurs des campagnes, et même à ceux d’Amiens, de Cambrai, de Valenciennes, le drap qu’il colportait dans le coffre de sa voiture. Hors du village, il accompagna longtemps le capitaine, le bidet trottant dur, aussi vite que les deux cavaliers. Soudain les sabots des bêtes écrasèrent les escarbilles et le mâchefer d’un chemin. Bâtisses de briques noirâtres, montagnes de charbons, potences à grosses lanternes, grouillement de travailleurs autour du puits, cortège de charriots traînés sur des rails par le pas des attelages boulonnais, telle apparut la fosse Cavrois, entre deux replis de la plaine. C’était le trésor de sombres richesses que signalaient jusqu’au loin les mâts des chalands, leurs flammes bleues. Au fil de la Scarpe, ils emportaient le combustible des familles pauvres que l’hiver accroupit auprès du poêle, celui des manufactures où, sans fin, la matière bout dans les monstrueux creusets de fonte, celui des forges où le minerai de feu coule et se fige avant d’être battu par cent marteaux sur les enclumes. Ainsi les méandres de la rivière chariaient