Page:Adam - L’Enfant d’Austerlitz (1901).djvu/307

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tait fait d’un sac, et son caraco de cent morceaux disparates, soie, laine, drap, percale, assemblées. Dès le matin, l’homme se hissait sur l’échine de l’âne boiteux et s’en allait tendre la main devant la porte des fermes. Le soir, il distribuait aux siens quelques croûtes. Le salaire de la malheureuse payait la location du taudis. Les aînés, deux garçons de huit et neuf ans, ramassaient le bois mort pour l’âtre et les chiffons du ruisseau pour les habits. Quant au père, l’épouvante de la bataille où il avait perdu ses jambes l’avait rendu presque idiot. Il répétait : " voilà ce qu’a fait de moi vot’Napoléon !… " et puis il ricanait en laissant filer la salive le long de sa blouse. Ces gens inspirèrent au jeune homme plus de dégoût que de pitié. Le père Corbinon se retroussait la soutane et balayait la bauge. Omer, la première fois, dut sortir pour obéir à ses nausées. Il pensa changer de confesseur, mais n’osa, et devint malgré lui, le protecteur de la famille Périn. Car il voulut surtout éviter que le collège adressât à maman Virginie de mauvaises notes qui l’eussent fait souffrir. Elle lui expédiait des lettres désolantes : " je ne sais trop quand je te reverrai, mon fils ; les médecins me défendent toujours de me risquer en diligence ou même en poste. Les cahots et les secousses, à ce qu’ils assurent, pourraient mettre à mal mes organes ; la saignée m’affaiblit beaucoup, ainsi que toutes leurs purges qui m’ôtent l’appétit. Heureusement je puis me promener au bras de notre bonne Céline qui t’envoie ses gros baisers. Je visite nos champs, dès qu’il fait soleil, et je vais régulièrement à l’église pour les offices. Mais si tu savais comme je suis fatiguée ensuite ! J’ai des jambes de plomb et quasi des boulets dans le ventre. J’emploie deux ou trois mouchoirs pour éponger ma transpiration. Tout cela ne présage point la possibilité d’un long voyage. Il faut