Page:Adam - L’Enfant d’Austerlitz (1901).djvu/42

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en criant : « Petit !…, petit !… » Ainsi la fermière appelait les poules. Souvent immobile comme la nature, il portait au crâne nu et au visage tant de signes incompréhensibles, changeants ! Quels pouvoirs cet esprit ne savait-il pas détenir ? Omer personnifiait en lui ce que sa nourrice picarde contait du génie gardien des trésors, et, sous son regard, jouait, silencieux. Soudain le bisaïeul, contre son nez en bourgeons, fixait de lourdes besicles, puis formait à terre un mot avec des lettres en bois tirées d’une cassette et que sa canne poussait :

― Lis ça, petit…

― F… R… A… fra…, T… E… R… ter…, N… I… ni…, T… É… té…

― Dis-moi ce que ça fait… Hein ?… Non pas… Non pas… Attention, sabre de bois !… Cela fait ?… Hé ! Picarde, le fouet ! Dieu me damne ! je corrigerai cet ignorant… Allons… du leste, s’il vous plaît, monsieur !… Fra… ter… Répétez avec moi, je vous prie. Fra… ter… ni… té. Fraternité… Parfaitement… Fraternité !… Et que signifie ce mot, monsieur ?… Un effort, donc ! Ne vous l’expliquai-je point mille fois ?… Ah ! Petit… je vais me fâcher… Pistolet de paille !… Laissez-moi votre ajustement, et me regardez en face… Là !

Non sans peine, Omer cherchait aux détours de sa mémoire les sons de la phrase à dire. Il voulait cependant plaire au bisaïeul qui s’obstinait, anxieux, à l’interrogation. « fraternité », cela représentait à l’enfant une série de petites maisons dont chaque façade était un rectangle de buis avec sa lettre. Il imaginait une rue ainsi construite. Les portes et les fenêtres s’ouvriraient dans les jambages. Mais il faudrait, devant, quelques bornes, ainsi que sur les boulevards de Paris.

― Eh bien, petit… ça ne veut pas venir ?… Voyons… la Fraternité est l’art…

― Est l’art, ― répétait l’enfant, ― est l’art…