Page:Adam - L’Enfant d’Austerlitz (1901).djvu/484

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ches du crépuscule. Il ôta son chapeau et il essuya ses paupières moites. À l’ombre des maisons, il chemina. Il sautait les flaques de boues ménagères afin de ne point salir le coutil vierge de son pantalon. Les sonnettes suspendues au bât de l’âne que poussait un marchand d’encre le poursuivirent quelque temps. Leurs voix légères lui parurent une raillerie.

« Je dédaigne les richesses et les honneurs ? ― s’interrogea-t-il. ― Non. Je ruse avec moi-même. Ce que je dédaigne, je le convoite. La situation de l’oncle Augustin me tente plus que tout. Et je comprends Denise. En somme, je pense comme elle. Je voudrais la même gloire, la même richesse ; mais je voudrais y parvenir par des moyens qu’approuveraient un Émile, un Pithouët, un Lyrisse même. Cela est-il possible ?… Non, sans doute : car l’oncle Augustin est un maître ; il sait les hommes ; il prévoit tous les événements, et, s’il avait pu joindre à tant d’avantages celui fort important d’être applaudi par ces incorruptibles même, il l’eût joint… Suis-je capable de renoncer plutôt que d’obéir aux conseils pernicieux de mes ambitions ? Suis-je capable de borner mes efforts à l’honnête et au juste stricts des anciens, et de ne point balancer à perdre tout plutôt qu’un scrupule ?… Je ne le crois pas, véritablement… d’une part, les épaulettes du général Héricourt, son hôtel, sa fortune. D’autre part, la vie errante du capitaine Lyrisse qui sauve à grand’peine sa tête. S’il m’était permis de choisir, je n’aurais pas la sottise de passer les Pyrénées, je prendrais le chemin de la rue de Babylone… Ce serait mal. Mais je me juge faible. J’ai des instincts d’esclave. Il m’appartient de le reconnaître maintenant… Saurai-je vivre chaste ? Non. Je préfère mentir et m’assouvir en secret. L’idéal du Père Anselme ne me concerne pas. Je ne serai jamais un ascète ni un saint ; je dépendrai toujours de ma nature : homme