Page:Adam - L’Enfant d’Austerlitz (1901).djvu/514

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bonheur. Il faut que je m’en remette à son portrait pour le revoir totalement. Le bonheur perdu n’a même pas de lendemain… Tout prend la figure du Remords atroce. Il me ronge. Ne pas me souvenir, c’est le remords de mon ingratitude. Me souvenir, c’est le remords d’une jeunesse trop frivole…

― Aucune joie n’est donc permise !…

― Toute joie est mauvaise hors de Dieu… Ne l’admets-tu pas maintenant ? Ne viens-tu pas de le proclamer en accusant Denise, tes oncles, tes cousins, cette fille ?… Toute la joie que tu recevais d’eux, était passagère et menteuse.

― Mais pourquoi l’immensité de Dieu ne comprendrait-elle pas nos plaisirs ?

― Parce qu’ils nous détournent de méditer sur son essence, parce que, dans nos joies, notre orgueil l’oublie.

― Tous les prêtres n’usent pas de sévérité…

― Non, car ils craignent d’effaroucher les impies qu’ils tentent de ramener à la religion. Mais n’es-tu pas capable de l’effort qui vise tout de suite le but final, sans errer d’abord !

Omer ne répondit rien. Tout autre propos eût abouti à l’expression de cette folie dévote. Il essaya plus tard d’interroger sa mère sur le bisaïeul : elle s’en tint à son idée sèche d’un écrivassier maniaque, solide, vivant à l’écart, mangeant dans son cabinet, dépouillant des courriers, recevant des personnages équivoques ou dangereux. De Médor, elle dit qu’on avait retrouvé son cadavre dévoré par les fourmis dans un buisson, et refusa de répliquer à l’attendrissement d’Omer. Converti à la royauté, à la religion, tandis que le général et le capitaine Lyrisse se joignaient aux scélérats constitutionnels de l’Espagne, l’oncle Augustin était pour elle un exemple de loyal repentir, une âme haute capable de reconnaître et d’abjurer ses erreurs. Élevée