Page:Adam - L’Enfant d’Austerlitz (1901).djvu/543

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laient de funèbres jeunes gens. Des vieillards à favoris gris et des civils à tournure martiale se cambraient dans de longues redingotes bleues, se saluaient comme aux enterrements. De-ci de-là, le cavalier aperçut quelques bonnets de coton à rayures sur la tête d’apprentis en vestes, dans les rangs de la multitude. Pas une parole ne se mêlait au bruit des pas foulant le sol. Aux fenêtres, les personnes accoudées entre des pots de fleurs échangeaient à voix basse leurs réflexions. Les buffleteries jaunes des gendarmes à pied, leurs bicornes en bataille, leurs baïonnettes ternes limitèrent la procession de la foule. Une farouche prudence fermait les bouches furieuses, éteignait les regards. Devant un estaminet, un monsieur qui proclamait à haute voix l’indignation d’un journal fut d’ailleurs enlevé par un essaim de mouchards. Vivement ils bousculèrent le remous de la cohue, et crossèrent de leurs gourdins les criards. Une fille qu’on avait frappée rajusta son fichu de madras en pleurant, tandis qu’une marchande de papiers peints ramassait à la hâte ses rouleaux à l’étal sur le pavé ; elle les sauva du piétinement. Au quai de la Mégisserie, les habits blancs des légions apparurent en lignes, sous les pompons cramoisis des hauts shakos chargeant les figures moroses. Omer mena sa monture vers un officier dont il reconnut la moustache par-dessus le hausse-col à fleurs de lys : Émile De Praxi-Blassans avait présenté son cousin à ce lieutenant, fils de pair, au hasard d’une rencontre. Le passage d’Omer fut facilité. Il put traverser à cheval le Pont au Change encombré de troupes, prendre place à côté d’un chef de bataillon, M. de Sorges, qui voulut accueillir affablement le neveu du comte.

― Vous venez voir ce sacrifice… Ah ! ils sont bien coupables, monsieur, les jacobins qui excitent de pauvres étourneaux à se compromettre pour leurs folies,