Page:Adam - L’Enfant d’Austerlitz (1901).djvu/544

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et qui les abandonnent ensuite, sans vergogne. Je n’aimais pas beaucoup les libéraux ; maintenant je les méprise. Corrompre de braves sous-officiers, monsieur ! Introduire dans l’armée les troubles de la politique ! C’est un crime infâme, monsieur, et qu’aucun châtiment ne saurait punir assez.

Le commandant caressait la crinière blanche de son cheval ; il balançait sa maigre tête rasée aux lèvres, fleurie, jusqu’aux narines, de favoris en touffes que cerclait la jugulaire de cuivre. Il craignait la pluie pour ses épaulettes neuves : un nuage s’étendait sous le ciel.

Omer crut à l’intervention des carbonari. Dans la masse humaine qu’écartait de la voie publique une double haie d’infanterie, il chercha les physionomies des conspirateurs. Un jeune homme pâle plongeait la main dans son gilet, pour s’assurer d’un poignard, peut-être ; il en tira seulement un mouchoir écarlate. Mais, non loin de l’horloge royale qui parait la tour carrée du vieux bâtiment de justice, se formait un groupe d’étudiants, de calicots, de demi-soldes et de ces faubouriens qui portaient, la plupart, aux oreilles, les anneaux d’or distinguant jadis les grenadiers de l’Empire. Une file de cabriolets de place les flanquait à droite. Tous ces cochers avaient dû servir dans les cuirassiers de Nansouty, les chasseurs de Marbot ou les hussards de Lassalle. Ils se firent des clins d’œil en se montrant du fouet l’infanterie blanche qui barrait le pont. Elle se roidit sous les armes, au commandement :

― Garde à vous !

De lourdes portes grincèrent dans le porche noir de la Conciergerie. Un peloton de gendarmes déboucha, sabre au clair, puis s’arrêta net entre les sombres murailles et le quai. Un murmure anima les visages pressés. La foule s’irrita contre la crécelle d’une vieille marchande d’oublies, puis se tut, s’immobilisa. À la