Page:Adam - L’Enfant d’Austerlitz (1901).djvu/70

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tains jours où le texte de l’Ancien Testament cessait, par magie, de se laisser lire, ne présentait plus aux yeux d’Omer qu’une série de minuscules dessins noirs alignés au long de la page jaunie, régulièrement, et dépourvus de toute signification possible ? Il avait beau frotter l’un contre l’autre ses souliers, il avait beau tordre sa veste dans ses doigts en sueur, il avait beau implorer du regard craintif la grosse tête blême si dure à l’abri des besicles d’argent, la punition était sévèrement proclamée ; maman Virginie l’exécutait, inexorable. C’était la loi.

Maintenant il connaissait le plaisir de Céline et du bisaïeul, celui de sa mère quand ils le châtiaient pour avoir répondu mal aux questions du catéchisme. Ceux-là se vengeaient, comme lui se vengeait de Médor. Toutefois, les crocs du chien annonçaient une vigueur certaine. Et sa faiblesse, devant l’animal aussi, contraignit Omer à des réflexions profondes.

Très souvent, Médor se glissait, par l’entrebâillement d’une porte latérale, vers l’office. D’ordinaire, pareil manège avait l’enfant pour complice. Dans l’intérieur, les insultes de la cuisinière ne tardaient pas à chasser l’intrus. Au galop, celui-ci repassait, la gueule pleine et poursuivi par les coups vains du torchon. L’inutile fureur du cordon bleu ne réjouissait pas moins Omer que celle de Galimafré recevant, aux tréteaux du boulevard, à Paris, la claque invisible de Bobèche. C’était une victoire impromptue, de la faiblesse adroite renversant tout à coup la réalité des apparences. Cela changeait l’ordre de la vie ; et le spectacle inattendu causait plusieurs sensations vives, dont le jeu se transformait en joie saine.

Mais vers ce temps-là, dans le salon, un matin, il changea son âme : dès qu’il eut vu le chien pénétrer dans le lieu de délices culinaires, il se hâta de crier : « Céline ! Céline ! Médor vole à la cuisine ! »