Page:Adam - La Force (1899).djvu/17

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

rer l’ennemi, de perdre un cheval. Quelle excuse offrir ? On le casserai au grade. Il connaîtrait la prison. Pour Séparer les fous, il aborda la mêlée ; mais, glissant des quatre fers, sa monture tomba. Le sous-officier rampa quelques toises parmi l’herbe humide afin d’échapper aux coups de sabots. Comme il se relevait sur les genoux, il sentit une matière dure égratigner sa main. Il vit là, rejeté sans doute par le fer d’un cheval, le pain de leurs convoitises, le pain pour quoi les hommes menaçaient leurs vies. Ses peurs disparurent, tandis qu’il se courbait dessus, heureux de le cacher aux regards des combattants. Il enfouit sa tête dans ses bras sur la proie.

Il mangea.

Les dents enfoncèrent, plongèrent, coupèrent et broyèrent. Sa bouche se remplit d’une saveur où disparut le goût sur. Ses narines aspiraient la mie. De la tiédeur amollit ses organes jusqu’à ce moment desséchés. Le vie intérieure, endolorie, reprit de l’aise. Attirée, saisie, charriée, pétrie, absorbée par l’appétit la nourriture transforma Bernard.

Son imagination ressuscitée franchit les distances, se complut à revoir la maison blanche de sa famille dans l’Artois, au bord de l’étang battu par la roue du moulin. Odeur du froment qu’écrasent les hautes roues de pierre, bruit de la chute d`eau mouvant les machines, figure du très vieux père aveugle, qui se réjouit de peser l’or au trébuchet, romance de Caroline, la sage aînée, qui tricote au milieu des sacs ; cela se retraçait à mesure que le jeune homme apaisait l’envie de ce pain rare pour lequel les frères, les marins, s’efforçaient, en route, par les eaux, afin d’acquérir maintes récoltes étrangères.

Il ne lâchait point la bride du cheval resté sur le flanc, et qui la tira en redressent la tête. Héricourt appréhenda qu’on ne vînt à l’aide. Vorace, il engloutit davan