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Page:Adam - La Morale des sports.djvu/453

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le poète et le mécanicien

chaines en critiquant les mœurs présentes, puis l’évolution des mœurs guide l’évolution nationale. La littérature n’est donc pas une bagatelle. Elle enregistre la vie des sentiments, leurs aspirations. Elle les renforce. Elle propage les dogmes difficiles et les fait comprendre en les appliquant aux exemples des aventures qu’elle décrit. Elle est la métaphore indispensable aux philosophies directrices. À chaque instant elle dénonce la pensée des élites. C’est un instrument de vérification, et un agent essentiel de la science sociologique. Tarde, l’excellent psychologue des foules, a montré comment la littérature forme les âmes des groupes, détermine les sympathies et les antipathies. Au total, elle compose l’opinion, seule maîtresse des époques historiques.

Mais pour, de la forme et de la fable, séparer l’esprit pour juger et classer les œuvres selon la dose d’intelligence incluse, il faut tout une subtilité habituelle. Peu de jeunes gens aiment la lecture au point de s’évertuer afin de conquérir cette faculté de jugement. La plupart estiment qu’un roman doit intéresser comme un commérage de salon mieux conté. Aussi le bachelier lui-même sait-il uniquement des lettres contemporaines ce que lui montrent, durant la digestion du soir, les directeurs de théâtre et les actrices. Autant dire qu’il connaît de l’arbre le bois mort, sans les feuilles, les fleurs ni les fruits. Car c’est peu de chose, aujourd’hui, que le théâtre. Et l’on conçoit bien que le spectateur de ces sottises, quelle que soit l’emphase des éloges prodigués, préfère donner son attention aux miracles de la science. Certes, Pasteur mérite plus d’admiration que Scribe, mais il en mérite moins que Flaubert ou Taine.