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LE SERPENT NOIR

croisai dans l’escalier une sorte de cycliste minable, agile et pâle. Autant que je pus les discerner dans la pénombre, cette figure anxieuse et toute rasée, ces cheveux presque longs étaient ceux du docteur Goulven. En effet, je le reconnus complètement dix minutes plus tard. Au fond de la salle à manger, couchant cinq des chaises contre la nappe, il marquait ses places à l’une des longues tables. Je m’avançai :

— Le docteur Goulven ?… Je suis Guichardot… tu te rappelles… Guichardot, du laboratoire de chimie organique… Guichardot… mais si !… Guichardot, l’Iode Guichardot… le Régénérateur Guichardot ?… Nous nous sommes rencontrés à Nantes, il y a deux ans…

Il joua quelques instants le rôle du niais à la mémoire courte. Évidemment, il se consultait avant de choisir une attitude.

— Vous êtes un peu changé, – me dit-il. – De là mon doute… Vous avez engraissé…

— Toi, tu as maigri, mon vieux ! Que d’os !… Enfin, ça ne te va pas mal… Alors tu es venu faire tes dévotions à Sainte-Anne d’Auray, en Breton d’image…

— Mon Dieu, oui…

Il se résolut à me fuir. Chose difficile. Planté au centre de la salle, entre les deux tables de cent couverts, j’écartai les jambes ; puis, les poings sur les hanches, je développai les pans de mon manteau de manière à fermer l’issue. Déjà, pour se faufiler avec les piles d’assiettes, les petites servantes devaient s’aplatir contre les files de sièges, et s’excuser. Mieux que des paroles adroites, les moyens matériels réussissent à seconder nos intentions.

— Je te félicite… L’Académie t’accorde les honneurs