Page:Adam - Le Serpent noir (1905).djvu/31

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
26
LE SERPENT NOIR

Ma carrure, mes façons aident à me faire place. J’agis toujours ainsi dans les petites choses et les grandes. Il me parut que la jolie femme m’observait avec une impertinence flatteuse. J’en fus ravi, bien que j’aie pour principe d’écarter de mon existence les aventures sentimentales. Trop de belles courtisanes, expertes en leur art, nous accordent tout d’abord, pour un prix net, ce qu’un long flirt obtient seulement après des comédies ridicules, et les rengaines vulgarisées par tant de littératures. Aussi me suffit-il qu’aux regards des femmes je puisse lire tantôt leur haine moqueuse, signe de ma force qui choque leur sensibilité de faibles, tantôt leur peur nerveuse, signe de ma supériorité qui s’impose à leur âme d’esclaves. Dans les deux cas je me contente, et ne pousse guère plus avant. Il n’est qu’un point sur quoi je tienne à les détromper : leur illusion d’être en équivalence avec moi par les compensations du charme ou de la beauté. Cela, je ne le tolère point.

Du haut de sa belle taille, la voyageuse me considéra comme le personnage d’un tableau singulier, et de qui la réalité pouvait être douteuse. Cependant les deux sœurs aubergistes se démenaient en l’honneur de mes dépenses prochaines. Les brides en dentelles du bonnet noir s’envolaient sur la nuque de la plus mûre. La robe, troussée par des tirettes, se dandinait sur la croupe de la plus jeune. Toutes deux appelaient, en se trompant de noms, leurs servantes auxiliaires. Et les cornettes blanches battaient éperdument des ailes.

Fier d’avoir accaparé leurs bonnes grâces au détriment de mes rivaux, je montai dans ma chambre pour faire quelque toilette. Lorsque je redescendis, je