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per, par tous les moyens, à la tyrannie des maux.
— Sans doute as-tu raison,—-avoua-t-il enfin, —en
théorie pure.;. Mais, _que veux-tu? il y a nos traditions,
nos atavismes, les sentiments transmis par le sang des
ancêtres. Il y a ce que l’on nomme la question du
cœur... »
— Oui, tu veux t’admirer héroïque. Ton orgueil
intérieur domine les conseils de la raison, de la
science... Ton orgueil! rien que l’orgueil; car la pitié,
c’estl’org11eilde celui qui s’extasie devant sa bonté,
son dévouement, devant son incompréhension des-
lois naturelles et nécessaires à l’harmonie du monde,
lesquelles éliminent la stérilité des faibles, et favori-
Sent la fécondité des forts l _ ·
Je lui demandai s’il avait lu les romans philoso- _
phiques du marquis de Sade, et, entre autres, la si
curieuse odyssée d’Aline et Valcour. Sur la côte
d’Afrique, et devenu l’hôte d'un roi nègre amical, le
héros du livre aperçoit, en se promenant, une pitoyable
esclave attelée a ia charrue. Avec un aiguillon, son
maitre la pique. Lorsqu’elle s`arrête, lorsqu'elle
tombe, il la fustige.·Indigné, le voyageur prie le roi
' de délivrer la pauvre créature. Le roi consent. Et glo-
rieux de sa bonne action, l’homme sensible, s’en vante
auprés d’un philosophe Portugais, échoué dans Ice
même pays. « 'Tu n’as fait, dit celui-ci que changer le
malheur d’individu, comme on change une liqueur de
bouteille. Privé de son esclave, lelaboureur se désole
sur Pimpossibilité d’en avoir une autre qui trace le
sillon nourricier. Il soutlre dans son orgueil humilié
par le roi qu’il redoute. Est-ce une bonne action,
celle qui déplace seulement le malheur sans le chas-
ser entierement? Tout au plus peux—tu dire que tu
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