Page:Adam - Souvenirs d’un musicien.djvu/204

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qu’il ambitionnait, et à l’église, le public ne manifeste pas ses sensations musicales ; il aurait voulu des applaudissements, et ceux qu’on lui prodiguait, quand il touchait du clavecin, ce qu’il faisait avec une grande supériorité, ne le flattaient que médiocrement, parce qu’il sentait qu’il était capable de faire plus. En un mot, il n’aspirait qu’à travailler pour le théâtre, et quoiqu’il n’eût jamais communiqué ce désir à qui que ce fût, c’était néanmoins le but de toutes ses pensées.

Cependant, il avait près de cinquante ans, et sentait bien que s’il tardait davantage, sa carrière était perdue. Il tenta une fois d’écrire à Houdard de Lamotte, pour lui demander un poëme ; mais les gens de lettres, même ceux qui font des tragédies lyriques, étant généralement peu versés dans la musique, le poëte confondit cette demande avec cent autres du même genre qu’il recevait journellement, et ne répondit pas. Rameau en ressentit un profond chagrin, ses accès de mélancolie en devinrent plus fréquents ; il s’enfermait des journées entières dans son cabinet. Il consultait les partitions de tous les opéras nouveaux, et après avoir lu avec attention ces différents ouvrages, il restait abîmé dans ses réflexions. Sa figure sévère et anguleuse s’animait alors d’une expression bizarre où le génie et la colère étaient confondus :

— Comment ! disait-il, voilà les gens qu’on me préfère ; mais dans la moindre de mes pièces de clavecin, il y a plus d’idées que dans tout ce fatras de musique.

Depuis l’immortel Lully, il n’y a pas eu un seul