Page:Adam - Souvenirs d’un musicien.djvu/203

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

sique moderne, apprécia, autant que le peuvent faire les vieilles gens, celle de son voisin et l’intimité s’établit bientôt.

Mme Rameau fut celle à qui cette société fut le plus agréable. Son mari détestait les nouvelles connaissances, et était fort peu communicatif. La pauvre femme s’ennuyait beaucoup ; mais elle n’aurait jamais osé le dire : elle savait que le bonheur de son mari était de la croire heureuse ; en lui laissant voir qu’elle ne l’était pas, elle n’ignorait pas le chagrin qu’elle lui aurait causé et elle n’aurait jamais osé lui proposer de changer de genre de vie ; car quoique foncièrement bon, il était excessivement opiniâtre, et il avait souvent des accès de mélancolie qu’elle aurait craint de rendre plus fréquents. Une fois par semaine, il allait souper chez M. de la Popinière, fermier-général, qui s’était déclaré son protecteur, et un autre jour il recevait un de ses amis à dîner, c’était le célèbre organiste Marchand, dont il avait reçu des leçons et dont il estimait grandement le talent. Rameau ne donnait ses leçons de clavecin qu’à contre-cœur, il se sentait quelque chose en lui qui n’avait pas encore pris son essor, et il savait bien que les leçons ne le mèneraient à rien ; mais c’était avec plaisir qu’il allait toucher son orgue de Ste-Croix de la Bretonnerie. Sa publication des Principes d’harmonie lui avait donné la réputation de savant musicien, et il tenait à prouver qu’il était quelque chose de plus qu’un savant. Aussi recevait-il avec joie les compliments de ses confrères, qui venaient l’entendre à son orgue ; mais c’était ceux du public