Page:Adam - Souvenirs d’un musicien.djvu/276

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— C’est donc vous qui m’avez donné cette épinette ? reprit Rousseau.

— Ma foi, oui, répondit l’autre, en riant.

— Eh quoi ! Monsieur, s’écria Rousseau, seriez vous donc de ces hommes cruels qui, par leurs orgueilleuses attentions, insultent à ma misère ? Reprenez votre instrument et ne me parlez jamais.

Je vous parlerai encore une fois, reprit l’amateur indigné, et ce sera pour vous dire que je ne suis pas votre dupe. Vous voulez faire le Diogène, et vous n’êtes qu’un jongleur.

Rousseau s’était soudain calmé à ces vives paroles.

À dater de ce moment, il fut rempli de prévenances pour celui qui lui avait si bien répondu. Il garda son épinette, et ne le vit jamais sans lui témoigner sa reconnaissance pour son présent.

Il est présumable qu’en usant toujours de ce moyen, on aurait apprivoisé l’ours qui ne paraissait redoutable que parce qu’on semblait avoir peur de lui.

Il serait bien difficile de résumer une opinion nette sur une nature aussi contradictoire que celle de Rousseau, et des travaux si divers et si incomplets. Néanmoins, en considérant son époque, malgré son ignorance dans l’archéologie de l’art, dans sa théorie et sa pratique, il y a lieu de s’étonner que, sans maîtres et sans l’auxiliaire d’ouvrages fort rares ou écrits dans des langues qu’il ne comprenait pas, il ait pu parvenir à se donner assez d’apparence de savoir pour disserter sans trop de désavantage sur un art aussi complexe et aussi difficile. Comme compositeur, quoique son ba-