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Page:Adelswärd-Fersen - Le baiser de Narcisse, 1912.djvu/100

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LE BAISER DE NARCISSE


frage, on les recueillerait à bord du vaisseau. Et Milès, dans le cœur de qui chantaient les légendes troyennes, savait que ce vaisseau s’en irait du côté où le soleil se lève, vers sa patrie, vers leur patrie, vers les villes roses aux terrasses dorées…

Hélas ! Les derniers rougeoiements du crépuscule s’éteignaient : la lune, comme un caillou blanc, éclaboussait la nuit d’étoiles. Enfin, vaincus par la fatigue et par de mutuelles souffrances, les deux adolescents s’étaient étendus là.

L’orient pâlissait… Doucement, comme si quelque main claire eût soulevé des voiles, une baie rose parut, profonde et lointaine. Puis les nuages se duvetèrent d’argent, la baie grandit, semblable à l’arche d’une volière lumineuse. Et soudain de la cage ouverte l’aurore s’échappa, telle que mille oiseaux aux ailes pailletées frôlant les écailles des vagues et les failles du ciel. Du bois tout fragile de rosée, où maintenant les merles sifflaient leurs notes aiguës, on voyait apparaître, une à une dans leur écrin de nacre mouvante les îles de la mer Égée, les vermeilles Cyclades. Et lorsque le soleil, brusque, se dilata parmi les vapeurs du matin, ainsi qu’une médaille dans les mailles de soie, elles semblèrent, les îles glorieuses, saigner contre les piliers violets des troncs d’arbres.

Au loin, dans la direction des villes et des temples, des notes stridentes éclatèrent, salut des prêtres de Mithra vers l’éternelle clarté. Puis tout chanta ! Les pépiements joyeux se rapprochèrent. On entendit tressaillir des ailes. Les moucherons commencèrent leurs zigzags bruissants dans les rais fluides du soleil, du soleil qui jetait sur les deux enfants endormis sa bonne chaleur généreuse…

Alors Milès, le premier, ouvrit les yeux. Il regarda, étonné, le bois d’abord, son compagnon ensuite, car c’est un privilège des