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LE BAISER DE NARCISSE


dreuses qui mènent au désert ? Les statues d’Isis et de Baal n’ont pas su protéger ces choses. Les Grecs impies ont brisé les marbres et ravi nos idoles. Comment pourrais-tu vivre esclave au milieu d’eux. Rappelle-toi Byblos ! »

L’autre ne répondit pas. Mais il tourna la tête, regardant vers Athènes.

Enfin comme la nuit approchait, il s’éloigna, voulant cueillir des fruits sauvages, et ne revint plus…

Longtemps Milès l’appela dans l’ombre jusqu’à ce que sa voix s’éteignît sous le voile salé des larmes. De nouveau les appels des trompes droites en lamentations retentirent, saluant la mort du soleil. Et le silence, plus pesant encore avec la solitude, enveloppa la terre, le ciel et la mer.

Alors, comme dans les anciennes histoires l’adolescent avait entendu souvent évoquer les sirènes qui peuplent les eaux et les génies qui vivent dans les airs, Milès, étourdi, ainsi qu’en un vertige, s’approcha aussi près qu’il put des vagues et étendit son corps délicat sur la grève. Phœbé, vaguant à sa promenade errante, découvrait au bord des flots son sourire désenchanté. Derechef Milès invoqua les sirènes à son secours ; sur ses lèvres tremblaient de tumultueuses prières.

Et voici qu’en se penchant pour les mieux appeler, en se penchant sur l’eau profonde où se reflétaient les étoiles, l’éphèbe vit se dessiner une image que nulle ride n’altérait plus, comme jadis au bord de la fontaine. Cette image lui souriait pour l’attirer vers elle. Il se pencha encore ; soudain il sentit le contact humide et doux de lèvres, plus tiède encore qu’un baiser.

N’était-ce pas là l’image du sauveur qui le mènerait dans sa patrie nostalgique par des chemins que nul ne connaissait, maintenant que les humains, tous, lui avaient menti ? Aussi, les