Page:Adelswärd-Fersen - Le baiser de Narcisse, 1912.djvu/33

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
15
LE BAISER DE NARCISSE


fallait se frayer un passage à travers une foule grouillante, nue, au sein de laquelle fermentaient des odeurs. Un moment, Milès crut tomber, s’étant embarrassé les jambes dans le rétiaire d’un gladiateur qui s’en allait vers le cirque. Puis ce fut un énorme chien jaune, errant, qui s’enfuyait courant de travers, comme un crabe, les oreilles dressées, la queue basse, un morceau de viande volée à la gueule. Il se jeta sur l’enfant. Heureusement les prêtres chassèrent l’animal affolé, et tout se termina par un éclat de rire, étincelant. Désormais, la glace rompue, plus confiants, ils se parlèrent, et les guides interrogèrent Milès sur sa famille, son âge et sa patrie. Déjà ils se trouvaient à l’autre bout de la ville. En face d’eux le temple dressait sa pure architecture. À plusieurs distances avant d’arriver ils rencontrèrent un chemin, dont les côtés étaient remplis de fleurs séchées ou fraîches encore, dont les dalles s’usaient sous les pas des cortèges. On avait dit à Milès quelles seraient ses premières purifications et quels soins il recevrait des pocillateurs avant d’entrer dans l’enceinte sacrée. Comme ils se dirigeaient vers les thermes, ils croisèrent une théorie de jeunes hommes dont les tuniques de lin transparentes laissaient voir les formes juvéniles et musclées. — Ces garçons étaient tous couronnés de myrte : les uns tenaient dans des coupes l’encens, le vin et les pétales de rose destinés aux libations. D’autres portaient, rigides sceptres aux têtes souples, des lys de Judée, dont les pétales ont la couleur des cédrats murs. D’autres enfin, des torches renversées. Derrière eux une dizaine d’éphèbes merveilleusement beaux et pâles, suivaient, soutenant une litière couverte d’un voile et semée d’asphodèles. Les porteurs étaient nus, et le soleil du matin veloutait leurs hanches incurvées, minces comme un contour de lyre. Milès et ses compagnons s’étaient arrêtés pour voir le