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LE BAISER DE NARCISSE


cortège. Un silence impressionnant planait. Nul de ces passants ne semblait vouloir desceller les lèvres. Seulement, dans leurs regards mélancoliques erraient des supplications. Et leur nudité paraissait une prière vivante.

Apercevant les prêtres, ils s’arrêtèrent. Deux des premiers dans la procession tendirent sans un mot les lys qu’ils tenaient à la main. Et les prêtres, devenus graves à leur tour, prirent ces lys et les effeuillèrent au-dessus de la litière couverte. Alors ils repartirent et gravirent sur la pourpre l’escalier sublime que l’on eût cru monter au ciel. Un à un ils découpèrent leur profil clair sous les portiques. Un à un ils disparurent : à leur arrivée les trépieds s’allumèrent et de lourdes fumées bleues glissaient maintenant vers la terre. Puis soudain un grand cri déchirant s’éleva, cri poussé par ces voix qui pourtant auraient dû ignorer la douleur.

Devant la statue aux mains d’ivoire quelque chose de long, de lourd et de fuselé venait d’être hissé au sommet d’un piédestal sombre. Et comme le cri tragique expirait, des flammes soudaines léchèrent ce piédestal qui devenait un bûcher. Maintenant, parmi les volutes noires, de grands serpents de feu giclaient vers la mer.

Celui qui était mort venait d’avoir quinze ans.