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LE BAISER DE NARCISSE


fermait ses beaux yeux. Depuis trois mois qu’il avait été soumis aux purifications, et qu’il apprenait pour affronter l’aéropage le chant des vers et la danse, jamais encore les caresses des esclaves n’avaient été si douces. On l’avait oint d’huiles précieuses et de nards de Syracuse. Ses paupières battaient comme des ailes lasses et son corps radieux était souple, ondoyant et plus tendre qu’une algue rose.

Un bref appel de trompe le fit tressaillir sur la couche profonde. Le moment était venu. Soudain ramené à la réalité, une peur atroce le saisit. Lorsqu’il fut debout, ses jambes plièrent comme si du plomb lui coulait dans les veines. Fiévreux, il demanda un miroir, et, comme il n’y avait point de miroir, il se pencha, curieux et joli, au-dessus de la vasque où il s’était baigné. Et l’eau tremblante lui envoya une image, plutôt même une ombre, mais si fine et si juvénile, que Milès en sourit.

Alors les pocillateurs lui agrafèrent la tunique dorée sur l’épaule, les colliers, les bracelets, et lui offrirent du fard. Il refusa le fard. Quand tout fut terminé, il ceignit la bandelette blanche qui lui baissait les cheveux jusqu’aux sourcils arqués. Sous ce casque bouclé et sombre, les prunelles liquides, les transparentes prunelles bleues s’agrandissaient démesurément jusqu’à devenir les pierres précieuses enchâssées dans un visage.

Un second appel de cuivre hennit, impératif, répété par des centaines de trompes sous les portiques du temple. À ce moment on écarta le rideau de pourpre qui séparait la salle des pocillateurs du couloir conduisant à la salle du jugement. Une foule d’adolescents, prêtres ou initiés pour la plupart, attendaient Milès pour l’escorter, et ces éphèbes tenaient des lyres, des harpes et des flûtes.

Une troisième fois les trompes retentirent, et les disques de