Page:Adelswärd-Fersen - Le baiser de Narcisse, 1912.djvu/37

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
19
LE BAISER DE NARCISSE


bronze que les mages apportent du désert, les disques frappés de marteaux d’ébène, frémirent orgueilleusement. Ainsi Milès partit pour aller danser, chanter et plaire, pour consacrer sa beauté et sa jeunesse au dieu ; Milès partit, précédé et suivi de musique, pareil à ce David qui — dans l’histoire de la Judée — sut charmer Saül d’un sourire.

Au seuil du tribunal, les voix se turent, les flûtes s’apaisèrent, les harpes s’adoucirent et ce fut le silence. La théorie adolescente qui accompagnait Milès se rangea, sans une parole, le long des sévères murs de pierre. Et lui demeura seul, au centre de la voûte, inondé du soleil qui coulait dans ses cheveux. Tout auprès, sur une table de porphyre, on avait disposé une lyre, la lyre du temps d’Homère, tendue sur deux cornes de taureau entre des tringles de cuivre, contre une carapace de tortue. Étaient préparés encore, le miroir, les cymbales ; sous les pieds de Milès, sous ses pieds nus, les pétales qui couvraient la terre agonisaient dans des parfums.

Alors le grand prêtre, voyant que les temps étaient venus, déroula un papyrus très antique, jusqu’à ce que le cylindre de fer auquel il était attaché tombât sur les dalles. Il se leva, paraissant plus vieux encore, mais sa tête avait cette noblesse imposante qui rappelle les marbres de Phidias. Puis il lut à Milès la naissance, la vie et la mort d’Adonis. Au passage où il est raconté que le dieu pour la première fois ouvrit les lèvres, le vieillard dit à Milès :

« Chante ! »

Milès prit la lyre. Les doigts légers d’abord hésitèrent un peu, tels que certains oiseaux avant de s’envoler tremblent des ailes. Puis ils coururent, hardis et sûrs, frôlant les cordes sonores, tandis que l’éphèbe, la tête inclinée en arrière, doucement