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MESSES NOIRES

d’accord, mais un suicide, certainement non. Reprenez les choses. Remontez le décor, animez les personnages de ce drame passionnant.

— Et vous vous y connaissez, mon Prince…

— Oui, c’est un goût chez moi. Je fais collection de drames comme on fait collection d’éventails ou de pantoufles. Ça distrait davantage. Animez les personnages. Lui, petit, rachitique, la poitrine couverte de scapulaires, très pieux et très menteur, très amoureux et très jaloux, jurant par la Sainte Vierge qu’il tuera sa femme à la première infidélité.

— Vous voilà bien, interrompait Lyllian. Pour vous, le Duc a promis et a tenu.

— Pas encore. Je ne dis point cela. Pourtant, en face de cette momie d’Othello, placez la duchesse qui, de son origine slave, tenait un tempérament d’impératrice ou de cantinière. Dites la femme de chambre de Catherine II, se faisant épouser grâce à la Compagnie de Jésus, remarquée par le Duc aux paroisses en vue, aux confessionnaux cotés, aux tables de communion. Déjà comédienne à ce moment-là, comédienne de premier ordre. Puis le mariage et la lune de miel. L’ensorcellement du pauvre Halbstein qui sortait du giron de l’Église pour se réfugier dans celui de sa femme, abruti d’invocations, idiot de prières et d’indulgences.

— Tout cela n’explique pas le flacon de chloroforme ouvert sur une table, à côté du lit, la Duchesse étendue et raide, les membres retournés, le verrou intérieur de la porte encore fermé sur la chambre du Duc.

— Allez donc, ricanait le Prince, comme on voit que vous n’avez jamais haï sérieusement personne. On aime comme on hait, on ressuscite comme on tue… Bref,