Page:Adelsward-Fersen - Notre-Dame des mers mortes (Venise).djvu/57

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
45
MUSIQUES

— Ouna légende, monsiou… ici, ouna légende…

— Ah ! dit Jacques, d’une voix grise, grise autant que la mer immobile.

— Ouna apparition de la Vierge au dernier doge Manin.

— Raconte moi çà, gondolier.

Alors, avec la familiarité commune à sa race, le batelier quitta le tremplin exigu d’où il ramait comme sur un manche de violon, vint s’asseoir en face de Jacques et, montrant d’un large geste l’horizon, il commença l’histoire…

« C’était vers la fin du dernier siècle, l’année d’avant la conquête française. La République avait déjà du plomb dans l’aile. L’armée de Bonaparte l’avait quasi occupée et tenait encore une partie de son territoire. Les factions divisaient les Vénitiens eux-mêmes… une décadence, Monsiou. Le doge était — comment appelez-vous çà — un fataliste, et vivait avec une nonchalance orientale. Sans qu’on