Page:Ades - Josipovici - Mirbeau - Le Livre de Goha le Simple.djvu/144

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toi ! Pourquoi me réponds-tu par un sourire lamentable ? Pourquoi t’attrister dans la joie ? » Car cet homme qui avait tant réfléchi sur les souffrances humaines, poussait l’inconscience jusqu’à croire sincèrement que rien ne s’opposait au bonheur de Mabrouka et que son départ après vingt-cinq ans de vie conjugale, respectueuse et paisible, devait la réjouir puisqu’il contentait l’âme frêle et pure de Nour-el-Eïn dévorée par la jalousie.

Et Mabrouka était partie… Au portier qui lui avait baisé humblement la main, elle avait donné une pièce d’or et des bénédictions. Une foule de mendiants, des estropiés, des aveugles, des lépreux l’avaient attendue dans la rue. Pour tous elle avait été bonne et généreuse. Puis, montée sur son âne et précédée de Cheik-el-Zaki qui par déférence avait tenu à l’accompagner, elle avait quitté le foyer où les épouses apportent leur virginité, mais où elles ne sont jamais sûres de mourir.

Le soir même, à la manière dont Nour-el-Eïn s’abandonna, Cheik-el-Zaki comprit qu’il venait d’accomplir un acte indispensable. Il ne voyait dans le départ de Mabrouka que le fait matériel d’un départ.

Aveuglé par sa passion, il était tout entier dans les mains de sa jeune femme. Pour achever de l’asservir, Nour-el-Eïn avait soin de dissimuler son ascendant. Puérile, chantante et naïve, toujours naïve, elle maintenait son mari dans l’illusion qu’elle était soumise à sa fantaisie. Comme en réalité le cheik la traitait toujours avec douceur, pour mieux le convaincre que c’était de lui seul