Page:Ades - Josipovici - Mirbeau - Le Livre de Goha le Simple.djvu/150

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— Je crois ne pas connaître l’anecdote à laquelle vous faites allusion, mon père.

— Je vais te la conter… Un vizir était emprisonné avec son fils depuis de longues années. Un jour l’enfant demanda à son père quelle était la viande qu’on leur donnait à manger… « C’est de la chair de bœuf », répondit le vizir disgracié et, avec maints détails, il décrivît l’animal. « Ah ! je comprends ! s’écria l’enfant, ce que tu appelles un bœuf, ça doit ressembler à un rat, n’est-ce pas, mon père ? » Tu fais comme lui, Alyçum. Ne voyant que des rats dans ta cellule, tu leur assimiles toutes les bêtes de la création.

— Il y a une grosse différence entre un rat et un bœuf, remarqua Goha en hochant la tête.

Cheik-el-Zaki possédait un Coran d’une valeur inestimable. Il était écrit sur parchemin en caractères koufiques de la main de Abou-Abd-Allah-El-Hassan-Ibn-Ali, l’un des plus célèbres calligraphes de l’Islam qui vivait au ive siècle de l’Hégire. Les pages étaient dessinées sur champ d’or. Le revers de chaque feuille était orné d’une rosace. Une plaque d’ivoire ciselé était enchâssée dans la reliure.

— Est-ce là le livre dont on parle si souvent à l’Université ? dit Alyçum en maniant le précieux manuscrit et en observant, sur les indications du Cheik, la perfection du travail… On prétend qu’il vous vient de votre aïeul Wali-Bedr…

— C’est exact… Mon aïeul l’a reçu du Sultan fatimite El-Mostanser…

— Allah ! s’écria Alyçum, en touchant pieuse-