Page:Ades - Josipovici - Mirbeau - Le Livre de Goha le Simple.djvu/156

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compagnons, devant tant de simplicité, hésitaient à poursuivre leurs distinctions subtiles… Souvent Cheik-el-Zaki concrétisait pour Goha la substance de certains livres. Goha écoutait sans tout comprendre et les images se dessinaient étranges, fantastiques… Il croyait que dans ces volumes on assistait à des vies mouvantes, on voyait des combats s’engager, des anges voler, et il s’écriait, enthousiasmé :

— Gloire à Dieu !

À mesure qu’avançait le récit, il se perdait dans une griserie de couleurs, d’actions… De chaque livre s’écoulaient de lents défilés d’hommes, de femmes, de chameaux et de bêtes formidables… Les murs reculaient pour permettre aux merveilleuses féeries de s’étendre… Il voyait, il ne faisait que voir et qu’entendre. La métaphore avait des formes, des sons, des couleurs… et tout cela était réel et tout cela était vivant. Il savait que les astrologues étaient des hommes qui portaient dans la paume de leurs mains immenses, comme une pincée de pierreries, les astres du firmament ; il savait qu’Antar avalait des montagnes, creusait d’un coup de lance des trous sans fond dans la terre pour y engloutir ses ennemis ; il savait que les alchimistes étaient une catégorie d’êtres, vivant dans les flammes et se nourrissant de métaux en fusion. Aux descriptions des poètes, il avait compris que les amoureux sont des animaux extraordinaires, aux yeux grands comme la lune, aux jambes de gazelle, au buste d’osier et qui chantent à l’ombre des oasis ou sur le bord des