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LE LIVRE DE GOHA LE SIMPLE

Nour-el-Eïn se coucha sur le divan. Depuis le départ de Mabrouka elle pouvait, sans être importunée, dormir au pépiement du jet d’eau qui s’élevait au milieu de la salle. Elle pouvait tremper ses pieds dans la vasque aux poissons rouges, elle pouvait jouer avec Amina, écouter les histoires que lui contait la vieille Mirmah et danser avec Yasmine ; mais elle n’était pas heureuse.

— Veux-tu croquer des pépins de pastèque ? dit Mirmah en posant l’extrémité de ses doigts durs sur le bras de Nour-el-Eïn. Je viens d’en griller…

— Non, je n’en ai pas envie.

Et Nour-el-Eïn se rappela le jour où la dallala, avec mille précautions, lui avait rapporté le refus d’Alyçum. « Il ne veut pas ? s’était-elle écriée tout d’abord en secouant Warda par les épaules… Va-t’en d’ici, vipère ! Qui donc t’a permis de me proposer à ce chien ? Va-t’en ! » Depuis, une lune était passée et l’autre était à son premier quartier. Des prodiges de tact, des monceaux de louanges avaient raffermi le crédit de la dallala. Les conseils de cette femme étaient nécessaires à Nour-el-Eïn, parce que l’outrage d’Alyçum avait exaspéré son désir.

— Il ne t’a pas vue, répétait Warda invariablement. Une description ne suffit pas pour gagner un cœur : montre-toi !… Ce seigneur aime une turque de haut rang. Ce n’est qu’en te montrant que tu pourras la lui faire oublier… Et il l’oubliera, ma chérie, il l’oubliera aussitôt qu’il t’aura vue. Nour-el-Eïn en était venue à accuser de sa