Page:Ades - Josipovici - Mirbeau - Le Livre de Goha le Simple.djvu/170

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étourdi par elle déserterait le seuil qu’il était sur le point de franchir.

— Je devine, c’est Saleh-el-Benna… Il laisse trois enfants en bas âge… Ah ! les pauvres petits !… Non ? ce n’est pas lui ? Alors… Alors, c’est Ahmed-Abou-Zeid ? Ils sont tous faibles dans la famille…

Cheik-el-Zaki l’interrompit :

— Ce n’est ni l’un ni l’autre, pourquoi nommes-tu El-Benna et Abou-Zeid ? Ils ne sont ni vieux, ni malades, ni méchants pour que tu songes à eux en cette circonstance. Comment deviner l’intime volonté d’Allah ?

Il fit une pause et d’une voix douce reprit :

— Celui que je pleure, ma chérie, s’appelait Waddah-Alyçum… Il était jeune et beau… On l’a trouvé noyé, le corps dans un sac, mains et jambes liées… Le Nil l’a rejeté sur la berge… Il doit être mort depuis deux ou trois jours… On a eu peine à le reconnaître, car il est gonflé comme une outre…

À ce détail, elle eut un geste de répulsion et lorsqu’elle comprit que depuis trois jours elle aimait un cadavre, elle frissonna d’épouvante. Les bras si passionnément et vainement désirés, elle les sentait maintenant enserrés autour d’elle.

— C’est le dénouement d’une aventure galante, poursuivit El-Zaki… On raconte qu’il délaissait sa maîtresse et que, pour se venger, elle l’a fait précipiter dans le fleuve, par ses esclaves.

— Que Dieu le recueille dans sa main ! balbutia Nour-el-Eïn.