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LE LIVRE DE GOHA LE SIMPLE

Elle était livide, ses tempes étaient mouillées de sueur. Un mysticisme macabre avait envahi son cerveau. Une outre gonflée, la mort. L’image et l’idée, deux aspects différents d’une même chose. Elle n’avait jamais réfléchi à la mort, mais elle avait cru confusément que c’était l’anéantissement de l’individu dans une forme plus belle. Elle venait d’apprendre ce qu’il y avait là de monstrueux. Elle considéra El-Zaki et ce fut presque une détente. Ses rides, son nez rugueux, le dessin mobile de son visage, tout en cet homme lui parut extraordinaire. L’autre était inanimé, horrible, lui vivait. Elle le regardait, elle l’entendait respirer. Ils étaient donc, elle et lui, de la même famille des vivants et vivre lui semblait maintenant miraculeux.

— Je dois te quitter, dit le Cheik en se levant… Le temps presse… Le convoi passera sous ta fenêtre… Nous nous reverrons ce soir…

Un cri montait aux lèvres de Nour-el-Eïn : « Ne m’abandonne pas ! j’ai peur ! » Auprès de cet homme qui pouvait se mouvoir librement et qui, au contact de la mort, gardait son assurance coutumière, elle se sentait protégée. Il s’éloigna et Nour-el-Eïn le vit sortir avec terreur. Elle examina la salle. Le plafond, les murs lui parurent à une distance vertigineuse ; Elle se crut seule irrémédiablement :

— Mirmah !… Amina !… Amina !…

La Syrienne et la Tcherkesse accoururent.

— Amina… Mirmah… où étiez-vous ?

— Nous étions assises à la porte…