Page:Ades - Josipovici - Mirbeau - Le Livre de Goha le Simple.djvu/178

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qui menait à la nécropole. Le chant des aveugles déclinait.

— Tu t’en vas ! Tu t’en vas ! reprit Amina… Ah ! si je pouvais te choisir une épouse !

Goha était seul maintenant. Il regardait passer la dernière charrette de pleureuses et haussait les épaules pour marquer l’étonnement profond que lui causait la légèreté de ses contemporains. La controverse qu’il venait de subir avait mis de la fièvre dans son cerveau. Il eut l’intuition qu’à cette minute il ressemblait à Cheik-el-Zaki, à Waddah-Alyçum et à tous les jeunes gens d’élite dont il avait si souvent éprouvé la séduction sans la comprendre.

— Il est évident que… Ne croyez-vous pas, mon cher maître ?… C’est que, mon fils, il faut considérer…

Avec des gestes mesurés, il déclamait ces lambeaux de phrases, réminiscences des longs entretiens dans la bibliothèque, et il était heureux, il se sentait intelligent.

Nour-el-Eïn aussi admirait sa voix chaude et les belles paroles mystérieuses qui montaient à présent jusqu’à elle. Son cœur, ses bras se tendaient vers cet homme qui ne pouvait même pas la voir derrière le grillage sombre de la moucharabieh. Goha était inaccessible. Elle ne pourrait jamais le toucher, avec ses mains, cet être précieux comme le soleil !

— Hé ! mon maître, je considère… Quoi qu’il en soit, j’ai le droit de dire… Mais, mon enfant, viens boire une tasse de café et fumer un narghilé…