Page:Ades - Josipovici - Mirbeau - Le Livre de Goha le Simple.djvu/184

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au réseau savant. Chacune d’elles suit un cours immuable comme un destin. Ici elle parfait un hexagone, là une étoile. Elle naît on ne sait où et revient perpétuellement sur elle-même. À son passage des figures s’animent, la rosace se totalise et le cadre du nom d’Allah se ferme.

Nour-el-Eïn ne parvenait pas à se distraire de la pensée de Goha. Envahie de sentiments contradictoires, elle passait de la colère à la mélancolie, du mépris à l’humilité. Depuis la rencontre dans la bibliothèque, Goha n’avait tenté aucun rapprochement. Ses visites étaient devenues rares. Quand il venait, Nour-el-Eïn, derrière les moucharabiehs, essayait en vain de surprendre un signe. Il passait indifférent, resplendissant de santé, et Nour-el-Eïn, pleurant de rage et d’amour, jurait de se venger. Repoussée par Alyçum, oubliée de Goha, elle avait parfois la crainte folle qu’elle ne fût laide ou déjà vieille.

Son orgueil résistait à une explication simple de cet abandon. Elle courait d’hypothèse en hypothèse et, n’en examinant aucune, elle n’en choisissait aucune. Elle imaginait des accidents extravagants, car elle voulait se convaincre que Goha ne s’était pas éloigné d’elle par indifférence.

Étendue toute la journée, elle portait les yeux sur les frises, sur les panneaux… Les arabesques lui semblaient mobiles. Elles fuyaient dès qu’elle cherchait le mouvement. Ces dessins l’obsédaient. Elle se sentait prise dans leur réseau et s’impatientait contre ces liens imaginaires dont elle ne parvenait pas à dégager son esprit.