Page:Ades - Josipovici - Mirbeau - Le Livre de Goha le Simple.djvu/195

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encore ému. Elle s’est levée, elle a ouvert les bras et elle m’a frappé…

— Ô Toi qui protèges ! murmura le pêcheur… Alors elle s’est levée, elle a ouvert les bras et elle t’a frappé ?

— C’est moi qui l’ai frappée le premier. Elle est restée un peu assise, puis elle s’est levée, puis elle s’est rassise…

— Ô Toi qui protèges ! répéta le pêcheur.

— Je l’ai frappée le premier… Elle s’est fâchée… Elle s’est mise debout et m’a donné un coup sur la tête…

— Voyons ta tête.

Goha découvrit son crâne. Une bosse s’était formée à la tempe. Abd-el-Akbar la comprima avec la paume de sa main. Goha s’étant mis à crier, il lui mouilla la bosse d’un peu de salive et reprit ses avirons. Le courant était fort. Par moments, le pêcheur s’interrompait de ramer afin de parler plus librement, d’épancher son amertume.

— Je savais, oui, je savais qu’il y avait quelque chose et que la faute en était à cette femme… Une cheika ! Et qui nous dit qu’elle n’a pas des diables dans son corps ? Qui nous dis qu’elle n’a pas l’œil mauvais d’une chouette ? Tu ne me croiras pas, Sidi, mais il y a un an que je ne pêche que de la misère, du fretin qui ne se vend pas dans les bazars… Oui, c’est à ne pas y croire !

Une expression de douleur impuissante marquait profondément sa face maigre et sale. Sa voix rauque était devenue véhémente.