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quet et s’accrocha à la robe de Hawa… Goha voulut crier, prévenir la fidèle servante, mais la joie égoïste d’être débarrassé du génie réprima cet élan généreux.

Le lendemain, une pastèque sous le bras et une cruche à la main, il se rendit à Ghézireh. Ayant déposé ses offrandes, il caressa Isis.

— Puisque nous sommes devenus de bons amis, dit-il, tu devrais rappeler le génie.

Lorsqu’il se retira, l’ombre le suivait encore. Il comprit que la cheika lui gardait rancune et se proposa de l’attendrir. Durant plusieurs jours, il lui fit sa cour. Abd-el-Akbar l’interrogeait, mais Goha ne lui confia pas son secret. Parfois, à midi, l’ombre disparaissait et Goha s’en croyait libéré. Peu à peu, d’ailleurs, son inquiétude déclina.

Un matin, en traversant le bazar des armuriers, il s’aperçut avec stupeur que tous les hommes avaient une tache sombre sous les pieds.

— Des génies !… Ils ont tous des génies !… s’était-il écrié.

Il porta quelque temps avec anxiété le poids de sa découverte. Les hommes qui marchaient avec aisance, ceux qui, accroupis, astiquaient un cimeterre ou un mousqueton, paraissaient ignorer le voisinage des esprits informes qu’ils piétinaient et bousculaient. Goha songeait aux vengeances terribles que les génies devaient tirer de ces outrages, et il s’exerçait à sauter par-dessus le sien.

Dans la suite, il s’enorgueillit d’être seul à connaître une vérité aux conséquences incalculables. Son esprit surplomba des abîmes. Il pres-